Aéroport de Genève post-COVID - analyse du rapport de Noé21

Aéroport de Genève post-COVID : quel trafic pour préserver le climat ?, c’est ainsi que s’intitule le rapport commandé à Noé21 par les Verts genevois, en vue des débats sur le prêt de Frs. 200 millions à Genève Aéroport, à l’ordre du jour du Grand Conseil début mai. Malgré une présentation professionnelle et des analyses bien détaillées, ce rapport comporte de nombreux biais, de graves manquements et même de fausses affirmations qu’il convient de corriger. C’est la raison de cette analyse succincte mais qui va à l’essentiel, en 5 pages. Contexte global L’aviation commerciale étant par définition une industrie globale, il importe en premier lieu de placer ce rapport en perspective de ce qui se fait dans le reste du monde. Perspective totalement absente du rapport. Ainsi, la crise actuelle provoquée par la pandémie est la plus grave qu’ait connu le secteur depuis la 2e guerre mondiale. Cette crise engendrera des effets sur le long terme et les perspectives de croissance du trafic aérien ont été nettement revues à la baisse, notamment en vue de nouvelles habitudes prises par la clientèle d’affaires sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, mais qui devraient diminuer le besoin de déplacements de cette catégorie de voyageurs d’environ 15%, (perspective absente dans le rapport de Noé21). Aux Etats-Unis, la recherche s’active à développer 3 nouveaux types d’avions supersoniques qui devraient entrer en service autour de 2030. Les premiers vols des prototypes sont prévus d’ici 2 à 3 ans. Des milliers d’emplois sont créés, notamment pour mettre en place des modules de réduction des nuisances sonores. En Chine, la construction de 30 nouveaux aéroports de catégorie intercontinentale bat son plein actuellement. Les retombées économiques prévues se chiffrent en centaines de milliers d’emplois, grâce à la création de centre de Recherche & Développement dans de nouvelles technologies propres. A noter également que le trafic aérien intérieur chinois, malgré le réseau de lignes TGV le plus dense du monde, a retrouvé son niveau pré-covid et devrait d’ici quelques années devenir le premier marché intérieur mondial en termes de mouvements et de passagers transportés. En Europe, Airbus, 1er constructeur aéronautique mondial, vient d’annoncer le lancement de 3 prototypes d’avions commerciaux à hydrogène. Mais les perspectives de sortir de crise sont plus moroses. Le débat sur la pertinence d’une reprise du trafic aérien est d’ailleurs une spécificité purement européenne. Ainsi, la plupart des pays d’Afrique et d’Asie dépendent totalement du transport aérien et sa remise en cause est tout sauf à l’ordre du jour. Mais c’est malheureusement dans une vision défaitiste que s’inscrit le rapport commandité à Noé21. L’atout « Genève Aéroport » pour toute notre région Un atout évoqué dans le rapport au détour d’un chapitre mais sans en évoquer les détails. Car il est à noter encore que notre aéroport n’est pas un jouet politique : lorsque l’on sait qu’il génère 33'600 emplois et plus de 4 milliards de francs de valeur ajoutée au profit de toute notre région, qu’il est la pierre angulaire de la Genève Internationale, on se doit de manipuler les conditions cadres de son exploitation avec des pincettes. Il aurait ainsi été plus pertinent d’intituler ce rapport : « Aéroport de Genève post-COVID : quel trafic pour éviter une tragédie sociale ? » Les nuisances pour les riverains Le rapport s’attarde peu sur les nuisances que cette infrastructure stratégique engendre sur les riverains. Il en mentionne une détérioration de la qualité de vie due à l’augmentation du trafic, mais s’attarde presque exclusivement sur les émissions de CO2. Il convient ici de relever à quel point il est crucial de tenir compte de la population vivant aux alentours de notre aéroport. C’est la raison pour laquelle existe un large consensus quant au couvre-feu nocturne (d’une durée de 8h pour les décollages, 7h pour les atterrissages). Il s’agit de faire respecter ce couvre-feu en sanctionnant lourdement ses violations. Mais il ne faut pas éluder, dans les débats autour de notre aéroport, l’intérêt général par rapport aux intérêts particuliers. Il en est ainsi de même pour les infrastructures ferroviaires qui engendrent également des nuisances sonores mais dont leurs développements dans notre région ne peuvent être l’otage d’intérêts particulier. A relever aussi que si les décibels engendrées par le trafic ferroviaire sont de moindre importance que celles dues au trafic aérien, elles touchent par contre 10 fois plus de monde ! D’où l’importance de considérer avant tout l’intérêt général, tout en s’efforçant de minimiser les nuisances de ces grosses infrastructures publiques. Analyse de 5 points cruciaux du rapport Calcul des seuils d’émissions de CO2 faussé D’abord, un postulat de départ erroné. En effet, les calculs sont faits en fonction des seuils d’émissions de CO2 du canton de Genève dans le cadre de ses objectifs d’urgence climatique. Le problème est que notre aéroport n’est pas seulement genevois mais dessert toute la Suisse romande ainsi que la France voisine : un bassin de population de 1,5 million d’habitants. D’ailleurs, les plus grands utilisateurs de notre aéroport ne sont pas les Genevois mais les Vaudois ! Alors ramener les émissions de CO2 produites par une plateforme desservant toute une région à la seule population du canton fausse complètement la donne. Poussant le résonnement jusqu’au bout, les auteurs auraient d’ailleurs pu rapporter les émissions aux objectifs climatiques des 2 seules communes sur lesquelles il se trouve : Grand-Saconnex et Meyrin, et auraient ainsi pu conclure que même 1 vol par jour dépasserait les limites d’émissions fixées par ses communes. Soyons sérieux : en reprenant les chiffres d’émissions de notre aéroport tels que présentés par Noé21 dans son rapport mais en les rapportant au véritable bassin de population concerné, la quantité de trafic acceptable selon les auteurs peut donc être multiplié par 4 voire 5. Progrès technologiques éludés Deuxième constat, les auteurs de l’étude ne tiennent aucunement compte des progrès technologiques. Or, le secteur du transport aérien n'a pas attendu la prise de conscience de la société sur le réchauffement de la planète pour diminuer son empreinte environnementale, et les avions commerciaux de dernière génération sont 80% moins émetteurs de CO2 que les appareils équivalents des années 1960. Cette amélioration de l’efficacité énergétique a permis de découpler la croissance des émissions de gaz à effet de serre de l’augmentation de trafic. C'est ainsi qu'au cours des trente dernières années, la consommation de carburant par passager-kilomètre transporté et les émissions de CO2 associées ont été réduites de plus de 50%. Chaque nouvelle génération d’avion permet une réduction d'environ 20% de carburant par rapport à la génération précédente, et les nouveaux avions consomment environ de 2 litres par passager sur 100km (à Genève : A220 de Swiss ou A320NEO d’easyJet, pour ne citer que les 2 principaux opérateurs). L'ensemble de l’industrie du secteur aérien s’est d’ores et déjà engagée dès 2009 à poursuivre la réduction de son empreinte environnementale à travers des améliorations énergétiques de plus de 1,5% par an pour atteindre dès 2020 une croissance neutre en carbone. A horizon 2050, l'engagement est de diminuer de moitié les émissions nettes de CO2 de l’aérien par rapport au niveau de 2005. Les pays scandinaves montrent la voie puisqu’ils seront les premiers à mettre en service des vols commerciaux 100% électriques en Europe, et ce, dès 2026. Ces vols seront silencieux et produiront 0 émission ! A court terme, de grands espoirs résident dans les carburants durables (sustainable aviation fuel). Le rapport de Noé21 l’évoque en mentionnant toutefois qu’il n’en est pas tenu compte dans l’élaboration de ses scénarios. Pourtant, des entreprises suisses sont à la pointe de la R&D dans ce domaine : faire voler des avions grâce à du carburant produit par des déchets recyclés devrait au contraire susciter l’enthousiasme de tous ceux qui se préoccupent de l’environnement. Interdictions contre-productives Troisième constat : interdire les vols vers Paris ou Zurich, comme cela est recommandé dans l’étude, serait totalement contre-productif. Exemple : de retour d'Asie via Zurich, la dernière chose que souhaite le voyageur, c'est effectuer encore plus de 3h de train jusqu'à Genève. Conséquence : les voyageurs au départ de Genève choisiraient d'autres escales, plus lointaines, pour prendre leur vol long-courrier. Ce serait un immense désavantage concurrentiel pour Swiss (et Air France) et pourrait même mettre en péril les opérations de notre compagnie nationale à Genève, laissant un quasi-monopole à easyJet. Autre conséquence : l'impossibilité de reprendre la liaison cruciale Genève - Lugano, là où le train n'est pas attractif (+5h). Il s'agit là d'une tâche d’intérêt publique, de cohésion nationale. Par ailleurs, toutes les études démontrent qu’au-delà d’une durée de trajet de 2 heures pour accéder à des vols en correspondance, les passagers délaissent le train et choisissent l’avion (les 7h de train pour se rendre à Londres Heathrow tiennent davantage du délire que d’un raisonnement sérieux et mettent en doute l’entier des considérations de base de ce rapport). Ainsi, les mesures françaises qui viennent d’entrer en vigueur (interdiction des vols intérieurs si une alternative ferroviaire de moins de 2h30 existe) sont souvent citées en exemple par ceux qui veulent diminuer les vols court-courriers. Notons ainsi qu’appliquées aux liaisons intérieures suisses, ces mesures ne concerneraient que la liaison Lugano – Zurich, liaison qui n’est d’ailleurs plus desservie par la voie des airs depuis que le train relie ces 2 villes en moins de 2h30. Développement de nouvelles offres ferroviaires dans toute l’Europe loin d’être assuré Le rapport fonde beaucoup d’espoir dans le développement des trains de nuit. Or, ce mode de transport a pratiquement disparu des horaires ferroviaires depuis les années 2000. Plusieurs raisons sont à l’origine de ces disparitions : Les coûts : les collectivités publiques ont préféré investir dans des projets éducatifs ou sociaux plutôt que pour combler les dettes engendrées par ce mode de transport circulant à pertes. La difficulté à trouver un modèle d’affaires rentable : trains de nuit de luxe avec cabines privatives et douches pour voyage d’affaires (billets très chers) ou dortoirs pour voyages de loisir (exploitation impossible à rentabiliser). Les problèmes d’insécurité vécus par les passagers. L’émergence des compagnies aériennes à bas coûts offrant une alternative attractive sans coûts pour la collectivité. Ajoutons que l’interdiction de certains vols en fonction de leur durée n’a aucun sens tant que l’alternative ferroviaire n’est pas réalisée. Le rapport ne répond à aucune de ces interrogations, qui ne manqueront pas de constituer de sérieux freins au redéploiement de trains de nuit en Europe, redéploiement tout sauf certain. Par ailleurs, les durées des trajets en train mentionnées dans ce rapport laissent à désirer. Elles sont en effet réduites (serait-ce intentionnel ?) de 10 à 20% par rapport au temps indiqué sur les horaires officiels. Là aussi, cela porte atteinte à la crédibilité générale de l’étude. Même les vols long-courriers ciblés Point positif du rapport, il reconnaît l’importance stratégique de notre aéroport : Plus que d’autres territoires, le canton et la région autour de Genève ont des besoins élevés en connectivité aérienne du fait d’une économie fortement tournée vers l’étranger, du poids des organisations internationales et d’une grande diaspora. Il est donc d’autant plus difficile de suivre les auteurs puisqu’immédiatement après cet aveu, ils proposent de réduire l’offre long-courrier, alors qu’aucune alternative à l’avion n’existe pour ce type de liaison et que celle-ci forme justement l’épine dorsale d’une stratégie de déploiement qualitatif pour Genève Aéroport, apportant une très haute valeur ajoutée à notre région et particulièrement à la Genève Internationale. En ne faisant pas de distinction entre le court et le long-courrier, l’étude ne saisit pas les différences essentielles pour envisager des mesures alternatives. Ainsi, s’il est probable de pouvoir inciter les déplacements en train pour des trajets vers des villes proches de pays limitrophes, il est illusoire d’imaginer qu’il sera attractif de se rendre à Londres ou Rome en train. Enfin, le report sur le trafic ferroviaire d’une partie du trafic aérien entrainerait une perte considérable de la connectivité de Genève et de sa région puisqu’il ne sera plus envisageable d’effectuer un aller-retour dans la journée. C’est toute une région qui sera économiquement perdante. Enfin, l’étude passe sous silence le fait que la valeur ajoutée collective d’une destination, ou son importance stratégique, dépend de nombreux facteurs. Certaines destinations peuvent s’avérer cruciales pour les affaires (ex : Luxembourg, Bruxelles, Londres), tandis que d’autres sont incontournables pour des visites familiales (ex : Rome, Porto, Lisbonne) ou touristique. Il n’est pas envisageable d’opérer un tri. Conclusion La lecture de ce rapport donne la fâcheuse impression que les commanditaires sont partis avec l’unique postulat de base qu’il fallait à tout prix réduire le trafic aérien et ont écarté toute autre piste permettant, elles, de concilier prospérité économique et prospérité environnementale. Difficile donc d’adhérer aux conclusions d’un rapport qui fait fi de 2 des 3 piliers du développement durable. « Aéroport de Genève post-COVID : quel trafic pour éviter une tragédie sociale ? » : tel est le titre plus approprié qui aurait dû orienter les recherches des auteurs, afin de permettre aux députés de prendre leurs décisions sur des bases solides, répondant à un vrai développement durable pour notre aéroport et toute notre région. Philippe MEYER (1) Philippe Meyer - YouTube

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