La grande illusion du report modal de l'avion vers le train

Ceux qui veulent interdire les vols dès lors qu'il existe une alternative ferroviaire en moins de 3h savent-ils que la substitution du train à l'avion n'entraîne pas de réduction des émissions de CO2 ? Dans la lutte contre le changement climatique, les idées simples ont la vie dure. Il en est ainsi du report modal air-rail qui est la croyance en croit que substituer le train à l'avion serait source de réduction des émissions de CO2. Or, la plupart des lignes aériennes ne sont aujourd'hui pas en concurrence avec le train. Là où le train est pertinent, le report modal a déjà eu lieu. Sur les axes entre Genève et Zurich, Genève et Paris ou Paris et Bruxelles, l'avion a cédé la place au train, proposant une offre commerciale qualitative. Et s'il existe encore des vols entre ces villes, il s'agit avant tout de passagers en correspondance. La suppression forcée de lignes aériennes, comme le réclament certains écologistes, n'aurait pour seul effet que d'affaiblir les aéroports européens au seul profit de concurrents comme Doha, Dubaï ou Istanbul. En Europe, 17 liaisons aériennes ont une alternative ferroviaire sans correspondance de moins de 4h. Le ferroviaire représentait déjà en 2019 près de 90% du trafic sur les 5 liaisons de moins de 2h30 et près de 85% sur les 12 liaisons de moins de 4h. Cette prédominance du mode ferroviaire diminue fortement sur les liaisons aériennes dont l'alternative ferroviaire est supérieure à 4h de trajet, s'établissant en moyenne entre 40% et 60% de part modale. Notons également que les vols avec une alternative ferroviaire directe de moins de 4h ne comptaient en 2019 que pour 2,4% des émissions de CO2 du transport aérien. Le report modal pose finalement la question de l'absence d'alternative ferroviaire crédible, pour lesquelles la grande vitesse ferroviaire n'est pas envisageable. Car on ne pourra déployer à l'infini de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse en Europe. Le modèle économique d'une ligne à grande vitesse requiert des marchés potentiels de plusieurs millions de passagers par an alors que les liaisons aériennes ne peuvent compter que quelques dizaines de milliers de passagers. De plus, la réalisation de nouvelles lignes ferroviaires demande de longs délais - de 20 à 25 ans en moyenne -, (100 ans à Genève), et affiche un bilan écologique et environnemental négatif, notamment en termes de CO2, si l'on tient compte de la construction de la ligne. Il y a d'ailleurs beaucoup de tartufferies de la part des écologistes à se faire les chantres du report modal air-rail tout en s'opposant sur le terrain à la construction de nouvelles lignes ferroviaires au titre des nuisances environnementales occasionnées. Selon les calculs d'Eurocontrol, construire les 10’000 km de lignes ferroviaires à grande vitesse prévues aujourd'hui en Europe coûterait déjà 250 milliards de francs, ce qui fait environ 25 millions de francs le kilomètre. On rappellera par ailleurs utilement qu'en Suisse le service public ferroviaire coûte plusieurs milliards de francs par an au contribuable. La problématique carbone solutionnée, le transport aérien sera un des modes de transport les plus durables. Le nombre de personnes exposées à de hauts niveaux de bruit est 5 fois plus élevé pour le rail que pour l'aérien, avec une exposition nocturne au bruit ferroviaire près de 13 fois plus élevé. L'avantage de l'avion est également une évidence si l'on considère l'emprise au sol, l'utilisation des produits phytosanitaires ou encore la préservation de la biodiversité. Laisser penser que le train peut remplacer l'avion est une erreur ne faisant que retarder la mise en place de politiques publiques indispensables à la transformation énergétique du secteur aérien. L'investissement collectif est nécessaire pour accélérer le déploiement plus large de technologies radicalement nouvelles telles que les avions électriques ou à hydrogène et pour généraliser l'usage des carburants aéronautiques durables (SAF). La décarbonation du transport aérien par les innovations technologiques et le développement des carburants alternatifs pourra de fait bénéficier au transport aérien dans son ensemble, vols long-courriers compris. Les citoyens n'attendent pas des politiques des polémiques stériles sur le mode de transport environnementalement le plus vertueux, mais des réponses concrètes et durables aux différents besoins de mobilité. Philippe MEYER Philippe Meyer - YouTube

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